
La librairie Bluestockings Cooperative a proposé plus de 6 000 ouvrages engagés sur des sujets comme le féminisme, la communauté LGBT ou le mouvement Black Lives Matters © Ellyn Mainguy
Le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche, en janvier 2025, a relancé les craintes de censure dans le monde du livre aux États-Unis. Alors que des milliers d'ouvrages ont déjà été bannis des écoles et bibliothèques publiques de certains États, la librairie indépendante Bluestockings Cooperative, à New-York, s'inquiète des implications que pourraient avoir ces politiques sur les espaces littéraires engagés.
Ellyn Mainguy
« C’est le premier endroit où j’ai pu être moi-même, et me sentir en sécurité », confie Jory Smith, l’un des bénévoles qui travaillent à la librairie Bluestockings Cooperative. Ancien militaire et ex-détenu, il a longtemps caché son appartenance à la communauté queer par peur d’être discriminé ou violenté. Nichée dans le Lower East Side de Manhattan depuis plus de 21 ans, Bluestockings n'est pas une librairie ordinaire. De « librairie pour femmes », elle s'est progressivement transformée en un centre communautaire féministe et LGBT avant de devenir une coopérative autogérée par ses travailleurs. Les étagères sont remplies de livres, souvent issus de donations, et les murs sont couverts de fresques artistiques. Jory installe des chaises dans la deuxième pièce de la librairie, pour la lecture gratuite prévue l’après-midi.
On y trouve des livres sur la justice sociale, les droits LGBTQ+, le féminisme… Des sujets particulièrement visés par la nouvelle administration et dont les interdictions se multiplient. Selon les chiffres de l'American Library Association (ALA), qui représente les bibliothécaires du pays, en 2023, 47 % des titres interdits, durant le premier mandat de Donald Trump, le furent pour leur contenu décrivant l'expérience de la transidentité ou de l'homosexualité. « Nous mettons en avant des histoires et des auteurs qui ont besoin de visibilité », explique Jory Smith en poussant un peu la voix, derrière son masque chirurgical, pour couvrir la musique qui s’échappe des enceintes. « Ces livres sont essentiels pour que des personnes comme moi puissent se sentir représentées et s'accepter », affirme-t-il. Pour le New-yorkais, censurer les livres, c’est risquer un appauvrissement culturel de la société, et de son rayonnement international. Un avis partagé par Bex, une touriste irlandaise de vingt ans qui visite la ville pour la première fois. « Je viens ici parce que j’aime les récits féministes, j’aime découvrir de nouveaux auteurs », explique celle qui cherche toujours à visiter des bookstores atypiques en voyage.

Du livre historique à la BD en passant par l’essai et la science-fiction, il y en a pour tous les goûts et tous les âges © Ellyn Mainguy
Une inquiétude grandissante
Si Bluestockings continue pour l'instant d'opérer sans entrave à New-York, ville et État démocrate de longue date, l'inquiétude grandit face aux ambitions de la nouvelle administration Trump. « New-York est une bulle de diversité comme je n'en ai jamais vu ailleurs », exprime-t-il avant d’avouer « avoir très peur de ce que [Donald] Trump pourrait réussir à faire en 4 ans ». Le Président a déjà entrepris certaines mesures au niveau fédéral, il a notamment démontré sa volonté de pouvoir « approuver » la publications des livres traitant de certains sujets. Selon le New York Times, Donald Trump a récemment signé un décret visant à « réexaminer » le financement de l'Institut des musées et des services de bibliothèques (IMLS), une agence fédérale qui soutient financièrement les bibliothèques publiques et les musées à travers le pays.